Tout ce que nous n’osons pas vous dire

Tout ce que nous n’osons pas vous dire
20.11.2017 Témoignages Temps de lecture : 9 min

Quand on traverse une période difficile, il vaut mieux en parler. Ou l’écrire. Vous reconnaissez vous dans ces « secrets »?

C’est un moment passé avec une amie « comme moi », c’est-à-dire une maman d’un enfant à besoins particuliers, qui m’a amené à réfléchir sur nos secrets de maman.
Quand nous nous retrouvons, ces sujets reviennent souvent, et mon amie me répète que « personne ne peut nous comprendre ».

Alors, j’ai eu l’idée de poster un billet ici.
Il s’agit donc de vous faire part, -vous parents ou futurs parents d’enfants « typiques », vous proches de nos enfants atypiques, vous curieux de ce que nous vivons- de toutes ces choses dont on ne voudrait pas vous parler d’habitude. Ces choses que vous ne savez pas, ou peut-être que vous les saviez mais que vous les avez oubliées.

Nous nous sentons seules.

Nous sourions beaucoup, discutons avec plaisir de toutes les victoires de nos enfants, et avons une attitude positive. Peut-être même que nous donnons l’impression de gérer, nous sommes très occupées et n’avons besoin de personne. Mais, la vérité est que nous nous sentons seules. Chacune d’entre nous. Être maman d’un enfant extraordinaire ne nous laisse pas le temps de nourrir et de préserver les relations dont nous avons besoin. Nous n’avons pas le temps d’appeler ou d’envoyer un mail à nos amis ou notre famille. Et si eux ne le font pas non plus, nous nous sentons coupables. Chaque parent de bébé ou de bambin se sent happé par le temps. Il faut nourrir le bébé, le changer, l’occuper, jouer avec lui, le porter, le calmer, le rassurer… Eh bien, chez nous, c’est comme cela depuis la naissance de notre enfant. Et puis, nous essayons de partager un peu de ce temps avec notre compagnon, qui est mis sur attente la plupart du temps.
Sortir de la maison est difficile aussi. Nous aurions adoré aller dans des lieux de loisirs pour enfants avec d’autres mamans, ouvrir nos maisons aux visites improvisées, passer boire un café chez une amie pendant que notre enfant joue tranquillement à côté de nous.

Et, même si une amie insiste, et que nous réussissons à programmer une sortie bien à l’avance, il nous arrive souvent d’annuler. Parce que notre enfant n’a pas dormi de la nuit, parce que c’est une journée difficile pour lui, parce que nous n’avons pas réussi à trouver la pâte à modeler marron, la seule qui lui plaît, et qu’il n’arrive pas à se remettre de ses émotions.

Nous angoissons sur la mort.

Nous nous inquiétons quand notre enfant est malade. Nous nous sentons impuissants, ne sachant interpréter les pleurs ou les silences. Nous avons peur qu’il meure. Et puis, nous avons peur que notre conjoint décède aussi, qu’il nous laisse seul. Mais surtout, nous angoissons sur le fait de devoir être là, toujours, pour prendre soin de notre enfant. Nous sommes indispensables à lui, et ça, c’est une sacrée charge à porter.

Les moments de détente ou de loisirs sont épuisants pour nous.

Alors que d’autres mamans peuvent s’asseoir sur le banc du terrain de jeu avec un bouquin pendant que leur enfant s’amuse, nous ne nous détendons jamais durant ces moments-là. Nous gardons un œil sur notre enfant pour qu’il ne pousse pas un autre, pour traduire ce qu’il essaye de communiquer. Nous devons surveiller qu’il ne se mette pas en danger, et qu’il ne mette pas en danger les autres. Nous devons veiller à ce qu’il ne tombe pas, car une chute, pour lui, peut avoir des conséquences. Ou qu’il ne mange pas un morceau de bois. Ou qu’il n’y ait rien qui puisse l’effrayer dans son environnement, ce qui pourrait mener à une vraie crise de panique.
Noël, Pâques, les anniversaires, sont des moments de stress pour nous. Il faut les planifier en avance. Nous devons prendre en compte le niveau de tolérance de notre enfant, le bruit, le stress, le mouvement, les stimulations de sens, l’attente, les surprises, les émotions. Anticiper ses réactions, et celles des autres. C’est épuisant.

Nos couples sont en danger.

Nous devons travailler plus dur encore pour préserver nos couples. Ne pas se tromper d’adversaire et de partenaire. Contre-balancer le stress d’être parent d’un enfant extraordinaire à temps plein en combattant sans cesse les risques élevés de séparation pour parents d’enfants extraordinaires. Accepter que nous avons chacun besoin de répit. Cesser de mettre autant de pression sur l’autre. Et réaliser que le succès de notre couple affecte le bien-être de notre enfant. Et pourtant, nous n’avons pas de temps à deux. La rare fois que nous avons eu un rendez-vous amoureux en couple, avec notre enfant dormant à la maison, gardé par ses grands-parents, notre téléphone était posé sur la table, entre les chandelles. Et comme nous ne sortons déjà pas, nous préférons entretenir nos relations avec nos amis quand les grand-parents peuvent faire du babysitting.

Nous ne dormons plus beaucoup, et pouvons compter sur les doigts le nombre de nuits entières que nous avons dormi avec notre conjoint. Et, forcément, dans la journée, les tensions s’accumulent.

Nous avons du mal à faire confiance.

Nous sommes les seules à réellement comprendre nos enfants. Nous savons où il n’aime pas être touché, ce qu’il mange et comment s’y prendre, ce qu’il essaye d’exprimer via son langage corporel ou ses signes approximatifs. Nous savons ce qui l’angoisse, et nous pouvons anticiper. Nous parvenons à le rassurer quand il panique. Nous connaissons les risques qu’il encourt, les faiblesses sur lesquelles nous travaillons avec lui depuis des années. Nous savons aussi que la moindre expérience difficile pour lui peut avoir des conséquences importantes sur ses progrès acquis et son bien-être.

Nous sommes vulnérables.

La vie nous joue des tours quotidiennement. Et nous n’avons pas demandé d’avoir cette vie-là. Nous ne la changerons pour rien au monde car nous aimons notre enfant inconditionnellement, mais nous en sommes fragilisées. Alors, nous sommes émues pour un rien. Touchées quand on nous demande comment inclure notre enfant dans tel évènement, remplies d’amour quand on nous demande comment notre enfant se sent en ce moment. Nous sommes offensées quand nos enfants sont « oubliés » dans les fêtes d’anniversaire, vexées quand nous entendons une blague sur les « débiles » à la radio. La plus belle réaction que nous ayons reçue à l’annonce du diagnostic de notre enfant a été « je ne sais pas quoi vous dire, je suis là ».

Car oui, cela fait du mal d’être vulnérable. C’est difficile d’être la maman qui est toujours un peu en dehors de tous les sujets de conversations de mamans. Mais, en même temps, nous voulons être incluses. C’est ce paradoxe qui est compliqué.
Nous remarquons bien que nos amies ne se plaignent pas auprès de nous sur leurs difficultés. Peut-être parce qu’elles se disent que leurs défis sont petits par rapport aux nôtres. Ou peut-être qu’elles ont peur de nous rendre jalouses… Mais, au final, nous nous sentons exclues et seules.

Nous sommes jalouses, malgré nous.

Eh bien oui, nous sommes jalouses. Et cela, malgré toute notre volonté de ne pas l’être. Nous aimerions pouvoir faire toutes ces choses que vous pouvez faire. Nous aimerions ne pas avoir à planifier la moindre activité et vivre au jour le jour. Nous aimerions pouvoir rire avec nos amies car notre enfant nous « casse les oreilles ». Nous adorerions pouvoir entendre notre enfant nous dire « je t’aime ».

Nous ne sommes pas les mêmes personnes que nous avons été.

Être parent d’enfant extraordinaire nous change la vie. Des choses que nous adorions avant sont intolérables pour notre enfant. Nous rions moins car notre enfant a peur des éclats de rire, ne mangeons plus de cochonneries car notre enfant présente des risques cancérigènes, n’allons pas dans les cinémas car il y fait noir et il faut s’y asseoir sans bouger.
Nous n’avons pas le temps d’avoir des hobbies pour nous, nos priorités et objectifs ont changés. Nous n’avons plus rien à dire, car nous sommes trop fatigués pour réfléchir à autre chose. Nous devons planifier nos journées et nos semaines en avance, penser à comment les choses vont se dérouler. Nous sommes devenus des As de l’organisation, et stressons si les choses ne se déroulent pas comme prévu, par anticipation aux réactions de notre enfant.
Petit à petit, nous oublions qui nous étions avant de devenir parent d’enfant à besoins particuliers, et nous ne nous rappelons plus ce que nous avions à apporter au monde. Et nous commençons à ne plus nous aimer, nous-mêmes. A ne pas supporter la personne que nous sommes devenues.

Nous avons besoin de vous.

Ne nous excluez pas de vos conversations, de vos sorties, de celles de vos enfants. Pensez à nous quand vous avez besoin d’aide. car, même si nous ne pourrions peut-être pas vous aider, nous serions heureuses que vous ayez pensé à nous le demander. Partagez vos difficultés avec nous. Nous voulons être là pour vous. Ne nous protégez pas. Et acceptez nos enfants, tels qu’ils sont. Quelques heures de stress pour vous à l’anniversaire de notre enfant, -car la présence du notre complique les activités- , sont quelques heures où nous sentirons que notre enfant est accepté.
Faites nous rire ! Nous en avons besoin. Nos journées sont remplies de sérieux, d’inquiétudes, de fatigue. Cela nous manque de rire jusqu’à en avoir mal au ventre. Nos instants de répit sont dans ces SMS aux gifs nuls (auxquels on en répondra peut-être pas car on n’aura pas eu le temps), dans les blagues à deux balles reçus un lundi après-midi, alors qu’on se lassait de planifier les rendez-vous du mois.
Ils sont dans ces visites imprévus, d’amis qui passent le soir, une bouteille de vin sous le bras, quand notre enfant est endormi.

Nous nous sentons nulles.

Nous avons l’impression d’avoir tout essayé. Nous avons passé des heures interminables,-la nuit souvent- sur l’ordinateur, à faire des recherches sur des thérapies, des soins, des activités de stimulation, des agencements, des techniques de communication. Nous avons l’impression d’avoir épuisé nos ressources. Nous broyons du noir, pleurons seules quelques instants dans la salle de bain, avant de souffler un bon coup et de retrousser nos manches.
Et parfois, nous voulons tout abandonner. Mais nous ne le ferons pas.

Retour aux articles de la rubrique « Echanger avec d’autres parents »

Mots-clés :

Aller au contenu principal