H comme le handicap

H comme le handicap
20.04.2012 Réflexion sur Temps de lecture : 11 min

Chaque mois le Journal des professionnels de la petite enfance publie un article sur une thématique précise en suivant l’ordre alphabétique…

Ce mois-ci, H comme le Handicap et l’accueil des enfants en situation de handicap dans les structures collectives…

Qu'est-ce que le handicap ?

Constitue un handicap, au sens de la présente loi, toute limitation d'activité ou restriction de participation à la vie en société subie dans son environnement par une personne en raison d'une altération substantielle, durable ou définitive d'une ou plusieurs fonctions physiques, sensorielles, mentales, cognitives ou psychiques, d'un polyhandicap ou d'un trouble de santé invalidant. 1

La classification internationale des handicaps, donnée par l’Organisation mondiale de la santé (OMS), a pour but de proposer une classification des conséquences des différents aspects du handicap. Elle comprend trois dimensions : la déficience, l’incapacité et le désavantage. Non pas pour savoir si une personne doit être considérée comme handicapée ou pas, mais pour connaître les différents facteurs de son insertion sociale qui sont limités et dans quelle mesure ils le sont.

La déficience

La déficience est définie comme étant « toute perte de substance ou altération d’une fonction ou d’une structure psychologique, ou anatomique2. » Il peut s’agir de déficiences intellectuelles, du psychisme, du langage et de la parole, auditives, de l’appareil oculaire, d’autres organes, du squelettes, et de l’appareil de soutien, esthétiques, des fonctions générales, sensitives ou autres (article L323-3 du Code du travail). La déficience est donc une perte d’intégrité d’une partie de l’individu.

L'incapacié

L’incapacité est la conséquence de la maladie sur la personne. Elle correspond à une limitation (résultant d’une déficience) partielle ou totale de la capacité d’accomplir une activité d’une façon normale ou dans les limites considérées comme normales, pour un être humain. C’est-à-dire la baisse des différentes potentialités de l’individu pour accomplir une activité. L’incapacité prend en considération l’individu dans son ensemble et décrit ses limitations dans la vie courante.

Le désavantage

Le désavantage social d’un individu est le préjudice qui résulte de sa déficience ou de son incapacité et qui limite ou interdit l’accomplissement d’un rôle considéré comme normal, compte tenu de l’âge, du sexe et des facteurs socioculturels. Il fait référence aux répercussions sociales du handicap et prend en compte les interactions entre l’individu et son environnement.

Pour les très jeunes enfants, il s’agit surtout de désavantages qui prendront forme ultérieurement. Tant qu’ils sont petits, tous les jeunes enfants sont très dépendants des adultes et nécessitent que l’on prenne soin d’eux. Certains jeunes enfants vont certes demander des soins spécifiques en lien avec une pathologie, mais il y a moins de différences entre deux jeunes enfants, l’un handicapé et l’autre pas, qui de toutes façons doivent être changés, habillés, nourris, portés… qu’entre deux enfants plus grands, à l’âge où l’un aura acquis de l’autonomie et l’autre pas.

Accueillir le handicap en structure collective

Depuis le décret du 1er août 2000, toutes les réglementations postérieures, y compris celle du 7 juin 2011, stipulent désormais que les établissements d’accueil de jeunes enfants « concourent à l’intégration des enfants présentant un handicap ou atteint d’une maladie chronique qu’ils accueillent ». Non seulement les parents de ces enfants ne devraient donc pas rencontrer de difficulté pour leur accueil dans un établissement de la petite enfance, mais il est aussi possible d’y voir une sorte de priorité liée à la compensation du handicap de leur enfant. En effet, la loi du 18 janvier 2005 a transformé le concept de prise en charge des personnes handicapées en concept d’égalité des chances et des droits. A l’évidence, un processus d’égalisation des chances devrait donc s’exercer le plus tôt possible, dès la petite enfance afin de favoriser le développement de ces enfants.

Or, il n’en est rien. Certains établissement accueillent effectivement des enfants présentant des handicaps ou des maladies chroniques, mais ils restent rares. Certes, on rencontre également des structures innovantes qui accueillent à parts plus ou moins égales des enfants présentant des handicaps avec des enfants n’en présentant pas, mais elles sont aussi très rares. En gros, ce qui est valable pour l’école en termes d’écart entre la loi et la réalité, l’est encore plus pour les établissements de jeunes enfants qui n’ont pas de caractère d’obligation.

Les résistances sont plurifactorielles et débutent certainement par celles des parents eux-mêmes qui s’autocensurent en ne faisant aucune demande aux établissements qui, rappelons-le, n’accueillent déjà que 10 à 12 % d’une population enfantine de moins de 3 ans. Puis vient la notion de fragilité d’un enfant encore petit, la difficulté à accepter le regard des autres parents, la vue des autres enfants, alors que le diagnostic du handicap est récent, voire incomplètement posé. Il faut du temps pour accepter tout cela et trouver les moyens humains et structurels de s’organiser.

En France, le problème de l’accueil des jeunes enfants présentant des handicap n’est en fait pas réellement lié au handicap lui-même, mais bien à l’accueil des jeunes enfants en général. Ce n’est pas tant le manque de places qui est un frein – car le manque de places vaut pour tous les enfants, y compris pour ceux qui ne présentent pas de handicap – mais, de manière cruciales, la nature même de l’accueil qui découle des concepts sécuritaires sur lesquels repose actuellement l’organisation des établissements.

Une révolution à mener dans les structures d'accueil

Les difficultés rencontrées par les professionnels pour accueillir de jeunes enfants présentant des handicaps ne sont que le reflet, légèrement exacerbé, de celles qu’ils rencontrent dans l’accueil de tous les jeunes enfants, accueil rendu difficile faute de moyens humains adaptés. Les professionnels d’accueil vivent des situations qui les dépassent et n’ont ni les moyens suffisants, ni les formations adaptées pour y faire face. Ils sont non seulement mal formés à la situation de handicap, mais aussi peu préparés à savoir organiser des univers adaptés et favorables aux apprentissages des jeunes enfants quels qu’ils soient. En France, les représentations collectives professionnelles reposent généralement sur la notion de sécurité. L’idée d’une structure d’accueil sécurisante pour les enfants est prioritairement mise en avant et passe par la stabilité et l’uniformité des groupes d’enfants, comme des professionnels d’accueil. La pédagogie majoritairement rencontrée dans les établissements d’accueil de jeunes enfants est basée sur la division des enfants en tout petits groupes encadrés par une ou deux personnes chargées d’assurer la sécurité et de mettre en place les activités de jeu et de vie courante valables pour l’ensemble des enfants du groupe généralement homogène. Accueillir un enfant différent est automatiquement très déstabilisant.

Les professionnels peu formés en général et pas formés du tout aux pédagogies adaptées aux apprentissages des jeunes enfants, mais plutôt aux soins à leur donner, se trouvent vite en difficulté pour leur proposer une prise en charge pédagogique en rapport avec leurs capacités. La notion de sécurité physique, affective et hygiénique occupe la place centrale de leurs préoccupations et les pratiques s’articulent sur la base des réponses à apporter aux besoins des enfants. L’enfant présentant un ou des handicaps est alors vécu comme ayant plus de risques de mettre en péril sa propre sécurité ou celle des autres ou comme ayant plus de besoins que les autres enfants. Il représente donc un risque pour la stabilité et la sécurité du groupe d’enfants accueillis. De plus ces professionnels ont le sentiment qu’ils ne connaissent que peu de choses au handicap de l’enfant et donc qu’ils vont avoir du mal à répondre à ses besoins jugés spécifiques. De ce fait ils pensent qu’il leur faudrait être plus nombreux pour qu’une personne spécialement détachée du reste du groupe puisse s’occuper de cet enfant si « particulier », si « différent », comme si ce dernier devait constituer un groupe à lui tout seul.

Dans une période où les budgets serrés font que les professionnels sont en effectif restreint ou calculé au plus juste, l’accueil d’un enfant différent est vécu comme une mise en péril potentielle d’une équipe entière. Il leur semble alors plus sage de s’abstenir en mettant en avant une « non compétence » avérée et indiscutable. Or, si absence de compétences il y a, c’est bien ailleurs qu’elle se situe. Dans les bases de l’organisation de l’accueil de la petite enfance et dans les programmes de formations. En effet, non seulement la moitié seulement des professionnels d’accueil possède un diplôme, mais aussi ceux qui sont diplômés sont issus de filières sanitaires dont la base reste l’apprentissage des soins à donner à l’enfant et non celle des pratiques éducatives. Car la vision sanitaire prime toujours et encore plus fortement aujourd’hui quand au risque sanitaire s’ajoute la nécessité sécuritaire. Et même si la notion de socialisation collective des jeunes enfants est admise, c’est rarement la favorisation de leurs apprentissages qui est mise en avant mais l’idée qu’ils doivent s’intégrer au groupe.

Un autre regard

Or, si l’on changeait notre regard sur l’accueil de la petite enfance, si l’on voyait les établissements collectifs comme des lieux prévus pour les apprentissages précoces, alors nous conviendrions aisément que les enfants présentant des handicaps sont tout autant concernés par ces apprentissages. Il serait donc également possible d’envisager ce qu’ils doivent faire de manière spécifique et donc de former le personnel en conséquence. Notons ici que lorsque l’on parle des apprentissages fondamentaux ou premiers, il s’agit non pas des savoirs scolaires, mais bien des bases permettant à l’enfant d’aller vers ses futurs savoirs. Ainsi, les paradigmes professionnels pourraient être le soutien de la curiosité de l’enfant, le repérage de ses aptitudes et la mise en place d’un environnement accueillant, chaleureux et affectif lui permettant d’agir sur ce qui l’entoure.

La difficulté de l’accueil de l’enfant présentant des handicaps dans une structure d’accueil de jeunes enfants n’est que le miroir du malaise actuel affectant les professionnels. Elle révèle une organisation qui n’a pas encore su se donner les moyens de faire sa révolution et n’est donc pas en capacité de mettre ses pratiques en adéquation avec les connaissances actuelles sur les jeunes enfants, sur leurs potentialités et leurs manières d’explorer le monde, de rechercher les liens de causalité pour le comprendre. Difficile, dans ces conditions, d’envisager agir, de s’impliquer.

Elle n’a pas compris que ce qui bloque toute qualité d’accueil est le cadrage sécuritaire imposé et la peur que cela engendre. Car pour apprendre il faut s’aventurer et sans aventure, il n’y a aucun désir et beaucoup d’ennui. 

C’est alors l’occasion de réfléchir, de lutter, de changer, de grandir, pour tous. C’est un risque à prendre aussi. Mais si personne ne le prend, si à chaque niveau d’encadrement chacun ouvre son parapluie, alors ce n’est pas seulement l’enfant « différent » qui reste dehors, qui ne peut s’intégrer au groupe, mais aussi tous les autres qui, bercés dans le doux cocon faussement sécurisant de l’identique passent à côté de l’aventure qu’offre la rencontre de la différence.

1 Article 114 loi du 11 février 2005. loi n°2005-102 du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapés.

2 Ibidem.

Laurence Rameau

rédactrice en chef du Journal des professionnels de la petite enfance
http://jdpe.fr/

Retour aux articles de la rubrique « A la crèche »
Aller au contenu principal