Sur les temps d’accueil de Elie, une professionnelle reste assise près de lui, au sein de la salle de vie, installe des jouets près de lui, accessibles aux autres enfants en invitation à jouer afin de ne pas l’isoler. Cette proximité physique liée à la surveillance de l’oxygène, est aussi – et peut-être d’abord – pour ne pas passer à côté d’une crise, d’être présente à l’enfant « au cas où… » et donc rassure aussi les professionnelles.
Néanmoins, il me semble important de souligner qu’au-delà d’une première image de «un adulte pour un enfant » – ce qu’il est impossible à mettre en place en permanence dans une structure collective sans stigmatiser l’enfant bénéficiaire – cet positionnement dans l’espace d’un adulte, assis au sol, posé, dans l’observation, bénéficie aussi aux autres enfants qui trouvent là un interlocuteur à leur hauteur, disponible à leurs sollicitations, attentif à leurs interactions et soutenant, par son attitude observante, leurs explorations et découvertes en tout genre.
C’est ce même souci du bien-être de l’enfant qui va permettre dans certaines situations aux professionnelles de dépasser leurs angoisses et de modifier leurs attitudes éducatives, celles-ci pouvant être influencées par les ressentis et représentations face à la particularité de quelques enfants. Les pratiques éducatives répondent certes aux besoins des enfants mais aussi parfois à ceux des professionnelles…
Au début de son accueil, Sabrina dormait dans la pièce de vie, ce qui assurait – et rassurait – les professionnelles de ne pas manquer son réveil et surtout l’apparition des trémulations. Progressivement, dans le souci de répondre aux besoins de l’enfant en termes de rythmicité et de repères dans l’espace, Sabrina a été installée dans le dortoir pour la sieste, comme les autres enfants, afin de lui offrir la possibilité de structurer ses représentations spatio-temporelles.
Nous l’avons vu, garder un œil en permanence ou quasi-permanence sur l’enfant répond à une angoisse des adultes et à un besoin de se rassurer, de lutter contre le sentiment d’impuissance mais aussi contre celui de culpabilité liée à l’impression diffuse d’abandonner l’enfant à sa crise… C’est en prenant peu à peu conscience des besoins de l’enfant, besoins ordinaires – et non liés spécifiquement à ses manifestations épileptiques – que les professionnelles ont pu dépasser leurs propres besoins de réassurance et proposer des réponses plus classiques, ordinaires et adaptées à la situation de l’enfant (dormir dans le dortoir comme les autres enfants). Ce cheminement demande du temps, des échanges avec les parents, des négociations en équipe aussi… Pour l’autre fillette également concernée par ce besoin des professionnelles de garder un œil sur elle, ce cheminement est en cours, l’enfant dort toujours dans la salle de vie, mais tout près de la porte du dortoir car, me dira avec beaucoup de lucidité et d’humilité une professionnelle
je ne suis pas prête à la lâcher… (du regard !)
Travailler en équipe
L’accueil d’enfants atteints de déficiences ou maladies chroniques nécessite une importante cohésion d’équipe, où chaque professionnelle, quelle que soit sa formation initiale[1], puisse partager ses savoirs et savoir-faire, sans hiérarchisation des compétences et des connaissances par rapport à chaque enfant accueilli. Cette cohésion passe par une confiance solide entre les membres de l’équipe, confiance autorisant l’expression des représentations et des affects, y compris les plus négatifs. Accepter de poser, de partager ses craintes, peurs, malaises face à un enfant ou une situation, sans crainte d’être jugée comme étant une « mauvaise professionnelle ». Pouvoir entendre l’expression des ressentis négatifs d’une collègue sans porter de jugement… et respecter le cheminement de chacune, la temporalité nécessaire à chaque individualité. (…)
Il est primordial pour le bien-être des professionnelles, et donc des enfants, de se sentir écouté, soutenu par ses pairs.
Ce travail d’équipe implique aussi une réflexion sur les notions de transmissions et partage des informations entre professionnelles, transmissions écrites et transmissions orales tout au long de la journée afin d’assurer une réelle continuité dans l’accueil de chaque enfant, d’assurer une cohérence de travail entre professionnelles, avec les enfants et les parents. Il est important que la professionnelle présente au moment du départ de l’enfant sache comment s’est passée sa journée, avant qu’elle-même n’ait commencé son service, qu’elle soit en mesure de transmettre les informations relatives à la journée de l’enfant à ses parents. (…)
Le partage avec les parents : une co-construction de l’accueil
Pour tout enfant accueilli dans la structure, les parents sont les premiers interlocuteurs des professionnelles et leurs principales sources d’informations sur l’enfant. Ce sont eux qui donnent les renseignements nécessaires sur les habitudes de vie de l’enfant, ses goûts, ses capacités, en particulier lorsqu’il ne peut les communiquer lui-même. Mais plus que pour les autres, lorsque les professionnelles sont interpelées par un enfant qui les questionne fortement et pour lequel elles ne savent, malgré leurs observations et toute leur attention, si elles répondent bien à ses besoins – et parfois même quels sont ses besoins – les échanges avec les parents sont indispensables. Dans bien des situations, les parents vont pouvoir lever, par le partage de leur savoir sur leur enfant, les craintes exprimées par les professionnelles :
Elise, en plus de son atonie et de ses crises d’épilepsie, a tendance à régurgiter après les repas. Or elle n’est pas en capacité de se retourner seule et les professionnelles craignaient le risque d’étouffement dans son sommeil, bien qu’elle soit couchée légèrement sur le côté. Le papa de l’enfant, lui-même médecin, les a rassurées sur l’absence de danger vital y compris en cas de crise passée inaperçue…
Les échanges avec les parents s’accompagnent d’une relation de confiance réciproque. Les professionnelles expriment toutes leur besoin de sentir la confiance des parents envers elles lorsqu’ils leur confient leur enfant, leur confiance en leur capacité à bien prendre soin de l’enfant, alors qu’elles-mêmes sont en doute en raison des particularités médicales de l’enfant. Toutes expriment l’aide que les parents leur ont apporté par leur connaissance précieuse de leur enfant, par l’échange des « trucs et astuces » pour répondre aux besoins de leur enfant au quotidien, par l’expression aussi de leur sentiment de « ne pas savoir » eux non plus. Parents et professionnelles avancent ensemble, tâtonnent, partagent leurs observations et s’en enrichissent mutuellement