Les rencontres fratries : se parler, s’écouter, échanger

Les rencontres fratries : se parler, s’écouter, échanger
22.12.2016 Réflexion sur Temps de lecture : 6 min

Le Centre de Ressources Multihandicap (CRMH) propose des rencontres fratrie pour les enfants âgés de 7 à 12 ans ayant un frère ou une sœur en situation de handicap.

Vivre avec un frère ou une sœur en situation de handicap peut susciter des questionnements, des inquiétudes mais aussi des souffrances, parfois difficiles à mettre en mots.

 

Le Centre de Ressources Multihandicap (CRMH) propose depuis 2011 des rencontres fratrie pour les enfants âgés de 7 à 12 ans ayant un frère ou une sœur en situation de handicap.

Pourquoi les rencontres fratrie ?

Dans le cadre de ses actions le CRMH a été interrogé plusieurs fois sur l’existence de groupes de parole destinés aux frères et sœurs non majeurs. Il existait alors peu de propositions en dehors des journées organisées par l’ASFHA (l’association nationale de sœurs et frères de personnes handicapées) et l’OCH (office chrétien des personnes handicapées) qui répondent aux fratries. En concertation avec les acteurs du terrain le CRMH a réfléchi à la mise en place d’un groupe de parole animé par les psychologues du Centre de Ressources. Ce groupe a d’abord été proposé aux adolescents finalement ce sont les enfants qui se sont saisis de cette proposition.

Le dispositif proposé par le CRMH est en effet singulier : il présente l’avantage d’être un lieu neutre qui n’est pas en lien avec la fratrie en situation de handicap. Il est alors plus facile d’investir cet espace qui se veut bienveillant et accueillant et la proximité de chevaux et d’espaces verts renforce la singularité du dispositif auprès des enfants.

Quelle résonnance pour les enfants ?

Ce groupe donne la possibilité aux enfants de rencontrer d’autres fratries concernées par le handicap. Il permet un usage collectif de la parole en exprimant et confrontant leurs vécus intérieurs, leurs idées, leurs affects et leurs ressentis.

Il est fondamental de pouvoir donner du sens à ce qu’ils vivent et ressentent. Le handicap peut en effet s’immiscer comme un objet confus en soi, créant parfois un sentiment d’anormalité. La fratrie a alors l’étrange sensation d’être « habitée » par la maladie. Toutefois, s’il importe de prendre la mesure des conséquences du handicap au sein de la fratrie, il ne s’agit pas d’y rattacher tout ce qui s’y passe d’heureux ou de malheureux. Comme le souligne Régine SCELLES[1], le handicap ne fait que révéler ce qui existe ou existerait sans.

Dans les rencontres fratrie, il s’agit d’aller au-devant de ces questions en proposant un espace suffisamment sécurisant et contenant.Les enfants verbalisent comme premier intérêt de leur participation le fait d’être entouré de pairs qui les comprennent. Effectivement, ils ont tous des parcours, des questionnements et des relations fraternelles différents, liés aux histoires personnelles et aux pathologies des frères et sœurs : polyhandicap, déficience intellectuelle, trouble envahissant du développement, etc. Les enfants ne s’opposent pas sur leurs différences mais se retrouvent sur leurs vécus ou leurs ressentis communs, ce qui leur permet d’avoir des échanges riches.

Quelle résonnance pour les parents ?

Lorsque les parents proposent à leur enfant de participer, ils montrent qu’ils se soucient aussi de la fratrie qui n’est pas en situation de handicap. Cet aspect symbolique semble très important pour les enfants reçus.

Le choix a été fait de mobiliser au minimum les parents afin que leurs éventuelles réticences ou défenses n’empêchent pas la participation de certains enfants. En effet, les psychologues qui animent le groupe ne demandent pas une anamnèse, il n’est pas nécessaire pour les parents de déposer une nouvelle fois leur histoire et leur parcours. Il s’agit plutôt d’accompagner leur enfant dans un espace qui leur est propre et où le choix peut être fait par les enfants d’aborder les sujets qui les préoccupent.

Dans ce groupe ?

Il s’agit de favoriser l’expression spontanée, le libre parlé. Les fratries, en partageant leurs expériences peuvent ressentir leur vécu familial comme moins étrange. La fonction de « miroring » du groupe agit comme un agent thérapeutique en atténuant la culpabilité et l’angoisse associées à leur vécu. Il y a une véritable émulation liée à la dynamique « entre paires », on s’approche des expériences groupales comme celle de la « pair-aidance »[2].

On observe une réelle bienveillance entre chaque participant. Les enfants s’interpellent sur des thématiques intimes et se donnent des conseils lorsque l’un d’eux livre au groupe un problème rencontré à la maison.

Il arrive que les enfants miment l’enfant handicapé comme pour apprivoiser et mieux comprendre ce qui se joue. C’est le cas des crises d’épilepsie qui souvent vont être mises en scène. Il y a des bénéfices à incarner l’autre car cela permet de différencier ce qui est semblable et différent.

On observe une très forte dynamique de groupe, les nouveaux sont toujours accueillis avec bienveillance comme les remarques parfois acerbes qui viennent tester les limites du groupe. Ce dernier est comme une matrice externe : enveloppe sécurisante et protectrice où les enfants sont très attentifs les uns aux autres. Le groupe absorbe les conduites un peu provocantes sous couvert d’expériences communes, ce qui a pour effet de les apaiser. Tous expliquent revenir parce qu’ils rencontrent des enfants qui les comprennent. Et ils peuvent exprimer leurs ressentis, sans jugement.

Modalités ?

Pour participer il est essentiel que l’enfant désire venir car la confrontation à des pairs peut être difficile et il faut aussi être à l’aise dans une configuration groupale. Il est demandé de venir au moins deux fois, afin que la première expérience du groupe puisse être reprise.

Place et rôle des psychologues ?

Leur rôle est d’aider à reformuler ce qu’un enfant a voulu dire ou questionner, pour le rendre accessible à tous. Il s’agit aussi de jouer les « passeurs de parole » en veillant à ce que chacun puisse s’exprimer. Pour le bon déroulement du groupe, il est important au début de chaque séance de rappeler les règles de fonctionnement et surtout le respect et l’écoute de chacun ainsi que le caractère confidentiel des échanges. Cela pose le cadre d’un lieu où toute parole peut être exprimée et entendue.

Si cela est nécessaire, les psychologues sollicitent les parents et les enfants pour un entretien. Il s’agit alors de faire un point et de penser ensemble une aide en orientant vers un lieu de thérapie pour l’enfant et/ou les parents.

Conclusion

L’expérience acquise avec ces groupes souligne l’importance de proposer un accompagnement aux fratries. Le groupe offre la possibilité aux enfants de partager un vécu souvent aliéné aux regards et aux remarques des autres pour en faire une expérience collective pensée et partagée.

 

Ecrit par Stéphanie Lecuit Breton et Mélanie Perrault, psychologues


[1] professeure de psychologie clinique et psychopathologie à l’université de Paris-Ouest la Défense (ClipsyD). Elle est membre fondateur du SIICHLA et dirige la revue Dialogue.

[2] http://www.cnsa.fr/parcours-de-vie/pair-aidance

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