Ecrit par Élisabeth Zucman -
Les troubles du comportement, un mode de communication ?
Le trouble du comportement est un mode de communication qui signale un malaise, attire l’attention de l’entourage et d'une équipe, mais souvent ne dit rien de sa cause. Il contient un potentiel de communication que l’accompagnant doit traduire par une démarche clinique rigoureuse et détaillée
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enfant polyhandicapé dans les bras d'une adulte

Le développement de la communication s’inscrit dans le développement général de l’enfant : la communication permet de montrer qu’il a compris et qu’il peut se faire comprendre (domaine cognitif), « d’entrer en relation avec quelqu’un et si possible de façon suivie et durable »1 (domaine relationnel et affectif),

La communication permet à l'enfant de communiquer ses besoins, de montrer ses choix, exprimer ses désirs, de signaler son mal être, ses douleurs, ses peurs, son chagrin (domaine de la perception de soi et de ses émotions...).

Cette capacité à transmettre clairement et intentionnellement un message est une étape très importante qui favorise et accélère le développement global. Si l’enfant n’a pas accès à une communication satisfaisante, l’ensemble de son développement va être impacté par des réponses de type « troubles du comportement ».

L'expression d'un malaise

Le trouble du comportement exprime le plus souvent un malaise, sans qu’il soit désigné comme tel. Il alerte l’entourage qu’il y a quelque chose d’inhabituel qui se passe. Mais ce n’est pas un signe conscient, intentionnel, volontaire. Dans ce contexte, la façon dont est véhiculé le message n’est pas adapté. Ce signe ne dit rien d’une signification.

Sur quelles références s’appuie-t-on pour évaluer le trouble ? Deux orientations sont possibles :

  •  Évaluer soit à partir d’une norme sociale « communément » admise : cette référence est impossible pour les personnes dans la situation de polyhandicap car chaque personne est ici « hors normes », si différente de nous et qui sont aussi si différentes entre elles2 .
  • Ou évaluer à partir de son état habituel. Le trouble serait alors un marqueur d’un changement individuel de la personne. Un marqueur, un indicateur et non un mode de communication, faute de réponse dans le même registre.

Une compréhension mutuelle pour réussir une communication

La communication consiste à transmettre des informations – définition la plus simple, et également très réductrice. Lorsque les informations deviennent accessibles, avec des aides (images, pictogrammes, langage signé...), on constate que les troubles du comportement se réduisent. La transmission de l’information, et sa validation par l’interlocuteur apaise. Et c’est très bien pour un début d’une communication de proposer toutes ces aides.

La communication « réussie » nécessite d’autres paramètres, qui sont autant d’obstacles à franchir pour rejoindre la personne polyhandicapée :

Le premier obstacle est notre difficulté de compréhension.
Comprendre les attentes, les besoins, les désirs, la douleur... nous place dans une position très inconfortable, ouvre le champ à beaucoup de questions et d’incertitudes (ai-je bien compris ? qu’est-ce qu’elle veut ? qu’est-ce qui se passe pour elle ?...) – et avec parfois la crainte de passer à côté de quelque chose de très important et se sentir coupable de ne pas être à la hauteur de ce que l’autre manifeste et attend. La formule « tout est communication »3 ne veut pas dire que l’on peut ni tout « interpréter », ni comme on veut. Il ne s’agit pas de donner n’importe quelle signification à un signe. L’acte de communiquer transforme le signe en un langage commun aux deux protagonistes qui sera adapté pour pouvoir se faire comprendre et initier un réel échange admis par les deux. Dans communiquer il y a mise en « commun » et donc une compréhension réciproque. « Il faut regarder non seulement ce que chacun dit, mais aussi ce que chacun pense et même pour quelle raison il le pense »4 . Et là aussi, nous sommes bien handicapés pour comprendre les raisons, les motivations de la personne.

Une autre de nos difficultés pour la rejoindre :
comprendre l’emprise des émotions et des tensions (déplaisir, frustration, sensation de manque, de perte...) que ressentent les personnes polyhandicapées.

Une autre de nos difficultés :
utiliser les mêmes canaux de communication, qui sont le langage du corps, touchers, mouvements, gestes, cris, émissions vocales, une communication donc « non orale » et qui sera toujours accompagnée par notre parole –notre référence humaine commune.

Une autre de nos difficultés :
rendre accessible un lien, nouer une relation dans laquelle la personne participe pleinement et librement : « la parole est moitié à celui qui parle, moitié à celui qui écoute »5 . Cette interaction reste fragile lorsqu’il existe de telles difficultés de compréhension et d’expression.

Donc le trouble du comportement peut « vouloir dire quelque chose », mais c’est un mode de transmission de l’information peu adapté. Le message a besoin d’être clair pour limiter les malentendus. L’information qui signale le trouble dit : « Attention, il y a quelque chose d’inhabituel qui se passe ». C’est utile mais n’est pas suffisant. Seule, une démarche globale, « clinique» peut prendre en considération le trouble qu’on observe.

Une démarche clinique

Afin de ne pas réduire la personne à son symptôme comportemental, il est nécessaire d’orienter nos propositions dans une approche beaucoup plus globale qui s’appuie sur une démarche clinique détaillée et structurée.
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Conclusion

Le trouble du comportement est un mode de communication peu efficace et adapté. Il signale un malaise, attire l’attention de l’entourage, peut focaliser toute une équipe, mais souvent ne dit rien de sa cause. Le trouble du comportement contient cependant un « potentiel de communication » que l’accompagnant doit « traduire », « adapter », « évoquer » et « écrire » par une démarche clinique rigoureuse et détaillée - qui est fort éloignée d’une « interprétation » arbitraire ou stéréotypée.

Ainsi on reconnaîtra la personne et on répondra à son besoin fort légitime « d’être comprise » même si nous sommes hélas bien limités par la « porte étroite» de nos perceptions et compréhension de l’autre et par notre manque d’attention et de temps. Alors peut-être son existence – et la nôtre - seront un peu moins troublées.

 

  • 1Selon l’expression d’Andreas Fröhlich, qui en fait un thème essentiel pour la personne
  • 2Si la définition du polyhandicap a facilité la reconnaissance de leur existence (Elisabeth Zucman), elle recouvre des situations d’handicaps très diverses
  • 3“Tout est communication : il est impossible de ne pas communiquer.” Gregory Bateson
  • 4Cicéron « de officiis » I XL 1. 147 (accessible au site web : remacle.org).
  • 5Montaigne. Essais. III 13, (de l’expérience).

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Élisabeth Zucman
Élisabeth Zucman
Description

Médecin de réadaptation fonctionnelle, Elisabeth Zucman a été conseiller technique du CTNERHI dans le cadre duquel elle a publié de nombreux rapports et ouvrages. Elle est présidente d'honneur du GPF (Groupe polyhandicap France).

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