Accompagner le développement de la communication : le rôle des adultes

Accompagner le développement de la communication : le rôle des adultes
08.03.2022 Réflexion sur Temps de lecture : 10 min

Extrait du livre « Communiquer, penser, parler avec le petit enfant » écrit par Marie-Paule Thollon Behar et paru chez Dunod (2020). L’importance de l’environnement social de l’enfant dans l’accompagnement du développement de la communication, du langage et de la pensée

De quoi peut-on parler avec un jeune enfant ? La vie quotidienne offre-t-elle toujours un contexte qui favorise le développement de la communication et du langage ?
L’accompagnement que propose l’adulte se met en œuvre dans un environnement matériel plus ou moins sollicitant pour les échanges. Nous allons voir les différentes situations qui peuvent être à l’origine d’échanges entre l’enfant et l’adulte.

Penser le langage dans le quotidien

Quand parle-t-on avec les enfants ? On aurait envie de répondre : tout le temps. Or la gestion du groupe, du collectif, ne favorise pas toujours des échanges individualisés avec chaque enfant.

Le temps du change est souvent considéré comme un moment privilégié, à préserver, en évitant les changes à la chaîne et dans la précipitation et en gardant l’idée d’être en relation avec un seul enfant, et en lui étant disponible psychiquement. Les moments d’habillage et de déshabillage pour sortir, pour aller à la sieste, et aussi être des opportunités pour échanger.

Le temps du repas ou du goûter en est un autre, surtout dans notre culture, qui va favoriser les échanges à plusieurs, lorsque la professionnelle est assise à la table, sans avoir à se déplacer (ce qui est une question d’organisation).

L’équipe des écureuils s’interroge sur la disposition des tables pour le goûter : tables séparées, en long, en U ? Cette dernière disposition suppose une professionnelle assise au milieu du U, avec les 16 enfants autour et une professionnelle qui assure la distribution du goûter et répond à l’interphone. Pour les tables séparées, chacune s’occupe de sa table et gère le matériel. L’un des indicateurs est le niveau de bruit mesuré avec une application sur le téléphone. Il s’avère que la disposition en U est jugée la plus agréable par les professionnelles. Pourtant, elle est la plus bruyante. Comment expliquer ce qui peut sembler paradoxal ? La déposition en U facilite les échanges entre enfants et adulte mais aussi entre les enfants. L’adulte ne se déplace pas et se consacre uniquement à la relation avec les enfants, plus nombreux dans cette disposition mais elle a davantage de disponibilités. Le bruit qui a du sens, celui d’échanges riches, n’est pas vécu comme pénible, ce qui est souvent le cas habituellement.

Proposer des situations de jeux variées

Nous avons vu plus haut que par le langage, l’enfant mettait en mot petit à petit des notions logiques qui préparent les opérations qui se mettront en place plus tard. Sans donner un cours de « classification » ou de « sériation », tout l’enjeu est bien de proposer des situations de jeu qui favorisent les découvertes de l’enfant. Pour cela, Fabienne Agnès Levine (1) a écrit un excellent ouvrage sur le jeu qui fait le lien entre théorie et pratique. Il ne s’agit pas de multiplier les jouets mais au contraire de simplifier l’environnement des enfants tout en leur proposant des jeux et jouets qui correspondent réellement à leurs préoccupations actuelles, en fonction de leur développement.

Les découvertes de l’enfant nécessitent des objets combinables, qui sollicitent les sens : matières variées, qui sont transformables : pouvant être démontés, remontés par exemple. Le matériel de récupération est à ce titre tout à fait intéressant. Utilisé en fonction de là où en est chaque enfant, il propose des matières variées contrairement aux jouets achetés. Surtout, les explorations multiples proposées seront un support riche aux échanges avec l’adulte qui va commenter les actions de l’enfant, le questionner, l’amener à prendre conscience des effets de ses actions mais aussi à de ce que font les autres enfants. Ceci suppose que l’adulte inter- vienne au-delà d’une attitude en observation, pas systématiquement, mais que les jeux soient une opportunité pour solliciter le langage.

Offrir des possibilités de sorties à l'extérieur comme support des échanges

Rester dans les quatre murs d’un appartement, d’une maison, de la salle de vie d’une crèche est peu sollicitant pour l’attention conjointe, Si la décoration change peu, que les photos ou dessins affiches ne sont pas renouvelés. En revanche, sortir à ‘extérieur, aller au marché, acheter du pain, se promener au jardin public, ou sur les chemins a la campagne favorisera le partage de l’intérêt sur les fruits et légumes au marché, à regarder, à sentir ou peut être à goûter, sur les odeurs de pain ou de croissant, sur les animaux vus et entendus : les oiseaux, les chiens qui se promènent, les vaches, les chevaux etc. Encore faut-il que l’adulte se situe dans l’échange et ne laisse pas l’enfant seul dans la contemplation de ce qui l’entoure: Il doit être à l’écoute et dans observation des tentatives de communication : geste de désignation, regard et mimiques, questions du tout-petit.

Le contact avec la nature constitue le principe 6 de la charte nationale pour la petite enfance : « le contact réel avec la nature est essentiel à mon développement ». Il est précisé que la nature permet expérimentation, la découverte, les jeux qui sont autant d’opportunités pour échanger à leur propos. Par ailleurs, la connaissance des minéraux, végétaux et animaux, du rythme des saisons, des transformations qu’elles provoquent est elle aussi un motif d’attention conjointe, une source de commentaires sur ce qui suscite l’intérêt de l’enfant.

Dans le cadre d’une crèche, il n’est pas facile de sortir avec les enfants dans la mesure où l’encadrement n’est pas toujours suffisant Le recours à des parents accompagnateurs peut être utile, parents qui à cette occasion, découvriront la vie quotidienne de leur enfant dans le groupe, les pratiques éducatives et pédagogiques des professionnels, et trouveront ainsi une place plus active et participative dans la crèche.

Privilégier les temps de lecture partagée en groupe mais aussi en individuel

Nous avons vu plus haut que le livre était un support privilégié dans l’acquisition du langage en particulier parce qu’il introduit le langage de l’écrit. Un tout-petit, même si on le laisse manipuler les albums est dépendant de l’adulte pour la lecture. C’est par des temps de lecture partagée que le jeune enfant accède au sens de l’histoire. Aujourd’hui, de nombreux parents mettent en place un rituel autour de la lecture au moment du coucher. Pour d’autres parents, l’enfant leur parait trop petit pour comprendre des histoires et la lecture sera proposée plus tard ou jamais. L’écart se creuse alors entre les enfants qui bénéficient de cette imprégnation et donc des acquisitions du point de vue du langage qui en découlent et les autres (Lahire,2019). Une sensibilisation est parfois proposée par des associations qui militent et promeuvent la littérature jeunesse pour les tout-petits (2). Des lectures sont proposées en salle d’attente de PMI en associant les parents. Des temps de lecture partagée sont offerts à des enfants accompagnés de leurs parents par des lecteurs ou des lectures professionnelles ou bénévoles. L’enjeu est de montrer aux parents les compétences de leur enfant et qu’un bébé ou un petit enfant peut s’intéresser aux livres.

En crèche, il est fréquent de rassembler tous les enfants pour un temps calme de lecture. Parfois, l’obligation est faite d’y participer, règle que certains n’ont pas vraiment envie de suivre. Ils préfèrent jouer à proximité, et souvent sont en même temps très attentifs. Obliger tous les enfants à participer est une source de stress pour les professionnels, et il arrive que le temps calme ne soit plus du tout calme… Le plus souvent d’ailleurs, la majorité des enfants présents participent volontiers à ces temps autour des livres qui sont autant de rituels qui ponctuent la journée. À d’autres moments, la lecture partagée peut être proposée à un ou deux enfants, en parallèle du jeu libre par exemple. Cela peut se passer à l’initiative de l’enfant : l’adulte est assise à hauteur des enfants, l’enfant vient avec un livre et lui demande de le lui lire. D’autres peuvent venir se joindre à eux, mais le livre sera lu à cet enfant en particulier, adressé à lui, même si d’autres écoutent. Cette lecture partagée plus individualisée est précieuse Elle permet vraiment de se situer là où en est l’enfant et de prolonger la lecture par des échanges, si l’enfant le souhaite. Ce sera le tour ensuite d’un autre enfant, sans oublier d’inviter celui ou celle qui le solliciterait moins.

Introduire le tout-petit dans la culture

Plus largement, les activités autour de la culture et de l’art sont aussi des opportunités pour se parler et développer le langage. Le rapport de Sophie Marinopoulos (3) le met bien en évidence. Si elle évoque longuement le livre, elle aborde également d’autres ouvertures culturelles comme le spectacle d’art vivant, support aux échanges dans l’après immédiat.

Assister à un spectacle ensemble, hors des murs de la crèche ou en son sein, aller voir un film au cinéma, voire, aller dans un musée ouune exposition de peinture, c’est plein de choses à partager ensuite, à raconter aux personnes qui n’étaient pas là. Bien sûr, cela ne doit pas devenir un exercice scolaire, mais s’appuyer sur une réelle motivation à partager son intérêt entre enfants et adultes.

Une crèche de centre-ville qui n’a pas d’espace extérieur privilégie des sorties au théâtre et au cinéma avec les plus grands pour leur offrir des opportunités d’aller à l’extérieur. Mais au-delà, les enfants ont ainsi le privilège d’assister régulièrement à des spectacles et des projections de films qui leur sont tout à fait adaptés. Au retour de ces sorties, les échanges sont riches avec les professionnelles qui ne les ont pas accompagnés : racontez-nous ce que vous avez vu…

(1) Levine, F. A., Une pédagogie du jeu avant 3 ans, 2e éd., Paris, Dunod, 2019.
(2) Par exemple, À livre ouvert, association lyonnaise membre du réseau « quand les livres relient ».
(3) Sophie Marinopoulos, Une stratégie nationale pour la Santé Culturelle : promouvoir et pérenniser l’éveil culturel et artistique de l’enfant de la naissance à 3 ans dans le lien à son parent (ECA-LEP), site du gouvernement. « 

 

« Communiquer, penser, parler avec le petit enfant » 

Marie-Paule Thollon Behar 

Dunod (2020)

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