Je suis né avec un spina bifida sans gravité. Pourtant, la réalité s’est imposée vers l’âge de 10 ans. Des soucis de santé ont commencé à s’accumuler, ma moelle s’est attachée, et mon nerf s’est abîmé. Très vite, j’ai été contraint d’adopter des béquilles ; ces compagnes de métal que je n’ai plus jamais lâchées. Malgré tout, je considérais cette légère différence comme normale et peu handicapante.
L’Ombre d’un Rêve
Quand l’Amour Semble Inaccessible
Grandir, c’est naviguer entre le désir d’être comme les autres et la reconnaissance de sa propre singularité. Mon énergie, je l’ai mise à m’inclure dans tous les cercles : ma famille, mes amis, l’école. Je savais que j’étais différent, une vérité lourde, parfois difficile à porter, même si je m’efforçais de la minimiser. Je rêvais d’une vie que l’on qualifierait de « normale, » mais je nourrissais, paradoxalement, la conviction profonde que je n’avais pas droit aux mêmes bonheurs que les autres.
Cette croyance limitante fut le mur que j’ai érigé autour de mon cœur. Je l’avais mise de côté, presque par résignation, ma vie amoureuse. Je m’étais fait à l’idée que le bonheur conjugal n’était pas pour moi, qu’il appartenait à cette catégorie de rêves magnifiques mais inaccessibles.
La Douce Révolution de l’Adolescence
À l’aube de mes quinze ans, un changement d’école a tout bousculé. Devant l’urgence de refaire des liens, j’ai dû dépasser mon tempérament introverti. Contre toute attente, je me suis senti étrangement intégré. Le sujet de mon handicap était quasiment absent des conversations ; j’étais simplement moi, avec mes passions et mes blagues.
C’est là, dans la simplicité d’un quotidien partagé, que Pascale est entrée dans ma vie.
Elle était dans ma classe. Très vite, nous nous sommes mis à discuter, le matin, en attendant la sonnerie. Ces moments étaient pour moi d’une douceur inouïe. Nous parlions de tout et de rien, mus par la même curiosité pour le monde. Il n’y avait ni jugement ni pitié dans son regard, seulement une attention sincère qui me faisait oublier mes propres murs.
Progressivement, j’ai oublié mon handicap en sa présence. La peur de briser ce lien précieux était plus forte que mon désir. Durant deux années, j’ai multiplié les moments de partage, rêvant secrètement que notre relation bascule. Même une grosse opération, une année-là, n’a pas réussi à détourner mon esprit : je pensais à elle. Elle était une évidence, une étoile qui m’attirait sans que je puisse avancer. L’année s’est achevée, et je n’ai rien dit. Nous nous sommes séparés.
L’Héritage d’un Amour Muet
Si cette histoire n’a pas eu de suite immédiate, elle a pourtant été fondatrice. Pascale, sans le savoir, m’avait permis de goûter à un amour qui me semblait interdit. Elle m’a prouvé que le cœur n’a pas de barrière, que l’attirance est une affaire d’âme, d’esprit et de lumière intérieure. Cette expérience est ma preuve la plus solide que j’avais, moi aussi, le droit de me sentir vu, désiré et digne de recevoir l’affection la plus belle.
Le Grand Chamboulement de l’Amour
Ce n’est que des années plus tard que la vie a balayé mes dernières certitudes. Je l’ai revue, cette fois avec le courage et la conviction que son souvenir avait fait naître en moi.
Avec Pascale, nous parlions de tout. Je suis tombé amoureux, nous nous sommes aimés, et on s’est mariés. Moi qui pensais ne jamais avoir droit à ce bonheur, ce fut un immense chamboulement.
Avant que notre amour ne prenne son envol, je lui ai ouvert mon cœur pour lui exprimer mes craintes les plus profondes. Je lui ai dit à quel point je craignais de lui imposer mon handicap, que déjà le vivre pouvait être lourd pour moi, et que je ne voulais en aucun cas que cela devienne un fardeau pour elle. Ce fut un échange plein de vérité qui nous a paradoxalement rapprochés.
Autour de moi, je me rends compte que la plupart des parents de personnes à mobilité réduite partagent cette crainte que leur enfant ne puisse être aimé de la sorte. Nous croyons, pour la plupart, que le handicap est une barrière infranchissable pour l’amour. Mon histoire est là pour dire que cette barrière n’existe que dans nos esprits.
Je Suis Devenu Papa
Alors que je n’avais déjà jamais vraiment cru pouvoir me marier, après quelques années d’attente, notre famille s’est agrandie. Simon est arrivé, puis Alice. Et, comme pour tout parent, ma vie a été profondément transformée. Le rôle de père a apporté avec lui une vague de questions existentielles : Serai-je à la hauteur ? Vais-je pouvoir les accompagner et les soutenir comme il se doit, malgré ma mobilité réduite ?
Ces doutes étaient légitimes, mais la paternité a fait exploser ma vision limitée du monde. L’amour pour mes enfants m’a donné la force de faire évoluer ma vie et de dépasser mes peurs.
L’Acceptation, une Nouvelle Vision du Handicap
Simon a aujourd’hui 5 ans. Au fil de ses premières années, ma vision du handicap a radicalement changé. Je passe aussi plus régulièrement du temps en chaise roulante. L’amour d’un père s’est avéré plus fort que les peurs. C’est ainsi que j’ai accepté de me déplacer en handbike pour suivre mon fils lorsqu’il court ou roule à vélo. C’est une petite victoire personnelle, mais une grande liberté dans notre vie de famille.